Conversations avec James Gray / Cinema
Conversations avec James Gray est un livre écrit par Jordan Mintzer édité en novembre 2011 aux éditions Synecdoche. James Gray n'engendrerait-il, ou plutôt n'inspirerait-il que de belles choses, de beaux sentiments et de belles pensées à ceux qui l'admirent ? C'est ce que l'on se dit en prenant en main, en touchant même, le (premier) livre qui lui est entièrement consacré, en l'occurrence par Jordan Mintzer, correspondant français du Hollywood Reporter : 235 pages recouvertes de tissu gris délicieusement grumeleux, au papier de qualité, à la maquette ingénieuse ; une édition bilingue ; des préfaces de Jean Douchet (admirable de limpidité) et de Francis Ford Coppola (enthousiaste).
Des pages illustrées, film par film (y compris celui qui ne verra jamais le jour), par des photos de tournage, des morceaux de partition, des documents de travail, avec Gray en personne, avec ses collaborateurs, qu'ils soient techniciens (le chef opérateur Harris Savides, le scénariste Matt Reeves, etc.) ou acteurs (Mark Wahlberg, James Caan, Gwyneth Paltrow, Tim Roth, etc.).
Pourquoi donc tant d'honneurs ?
Tout cela pour un cinéaste de 42 ans qui, en dix-sept ans de carrière, n'a réalisé que quatre films ? Et pourquoi donc tant d'honneurs ? Ceux qui connaissent ses films (Little Odessa, The Yards, La nuit nous appartient et Two Lovers) ne se poseront évidemment pas la question. Claude Chabrol, quelque temps avant sa mort, nous confiait sa joie d'avoir rencontré James Gray, et que ce dernier lui eût confié toute son admiration pour un film comme Les Bonnes Femmes...
Il était peut-être temps, au moment où Gray peine toujours à mener à bien ses projets (The Lost City of Z, un film d'aventures ambitieux, vient d'être abandonné), pris qu'il est entre sa volonté d'indépendance, de maîtrise absolue de la mise en scène et du montage, et son inscription professionnelle dans le circuit des grandes majors, de dire au grand public, d'expliquer le pourquoi du comment, de lui donner un coup de pouce symbolique - un livre. Jordan Mintzer n'en fait pas secret : il a d'illustres prédécesseurs, dont le Sirk on Sirk de Jon Halliday ou, bien sûr, le "Hitchcock's book" de François Truffaut, qui a marqué des générations de lecteurs.
Comment fabrique-t-on un film ? Qu'est-ce que la forme au cinéma ? D'où vient-elle ? C'est au fond, sur la trace des grands livres d'entretiens avec des cinéastes, la vertu cardinale du travail au fond discret de Jordan Mintzer, qui se cache derrière ses intervenants : mêler l'intime et le travail, l'histoire d'un homme (né dans le Queens à New York, descendant de Juifs russes immigrés) et de son oeuvre en tant que metteur en scène de cinéma, et montrer comment tout cela forme, avec une culture cinématographique à la fois très américaine (avec Coppola comme maître-étalon) et tournée vers les cinématographiques du monde entier (Fellini, par exemple), un artiste de cinéma à la fois unique et universel. C'est là que réside la grande réussite de cet objet-livre singulier : il est à la fois passionnant, pédagogique et profondément attachant. (Jean-Baptiste Morain)